Non, la compensation carbone n’est pas (forcément) une arnaque
La compensation contribution carbone, loin d'être un simple outil de greenwashing, peut devenir un levier financier puissant dans la lutte contre le réchauffement climatique. Pour cela, une approche rigoureuse et transparente doit être adoptée, et la notion d'entreprise "neutre en carbone" doit être abandonnée.
Par Constance Groisne, Responsable Décarbonation chez Inuk
Inuk est une entreprise française, spécialiste de la contribution carbone. Inuk a développé en 2018 la première technologie de traçabilité appliquée au crédits carbone. Nous proposons aux entreprises des crédits carbone made in Europe parmi les plus fiables du marché. Nos équipes accompagnent aussi au quotidien des entreprises de toute taille dans leur transition bas-carbone.
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Une enquête parue dans The Guardian qui révèle que de nombreux crédits carbone vendus n’auraient “aucun impact positif sur le climat” [1], un épisode accablant de Cash Investigation qui met en avant le greenwashing éhonté de certaines entreprises qui abusent de la compensation carbone [2]… Vous en avez peut-être entendu parler : l’intérêt de la compensation carbone pour le climat est vivement remis en question par l’actualité, pour un tas de raisons légitimes.
Nous avons souhaité profiter de ce débat pour vous partager notre point de vue sur la question à travers cet article : si la compensation carbone est le cœur de métier d’Inuk (on préfère d’ailleurs parler de contribution carbone, on reviendra là-dessus un peu plus tard), c’est parce que nous sommes convaincus que ce mécanisme, utilisé à bon escient, peut être un allié précieux dans la lutte contre le réchauffement climatique. Et on a voulu vous expliquer pourquoi !
Au programme : la place de la contribution carbone dans l’atteinte de la neutralité carbone planétaire, les dysfonctionnements du système de contribution actuel, et les solutions d’Inuk pour y répondre.
Bonne lecture !
1. En quoi la contribution carbone volontaire peut-elle être utile au climat ?
1.1. La contribution carbone est un moyen d’augmenter les financements en faveur du climat
Pour commencer, rappelons l’objectif ultime fixé par l’Accord de Paris pour limiter le réchauffement climatique à 2°C voire 1.5°C : l’atteinte de la neutralité carbone d’ici 2050. La neutralité carbone, c’est un état d’équilibre entre les quantités de gaz à effet de serre émises et celles qui sont absorbées, à l’échelle planétaire — permettant ainsi de stopper l’accumulation de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, et donc la montée des températures.
Pour l’atteindre, il est nécessaire de :
  1. Réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre : de 43% d’ici 2030 et de 84% d’ici 2050, par rapport à 2019 pour limiter le réchauffement à +1.5°C [3]
  1. Développer les puits de carbone naturels et technologiques
Pour ce faire, tous les pays, tous les secteurs et toutes les entreprises doivent se joindre à l’effort collectif. Concrètement à l’échelle de la France, la SNBC (Stratégie Nationale Bas Carbone) a estimé que ça devrait donner ça [4] :
Graphe issu d’un article de Carbone 4, d’après les données de la Stratégie Nationale Bas Carbone
Une réduction si colossale des émissions implique une transformation très profonde de la société et de l’économie, et ça, ça nécessite forcément beaucoup d’investissements.
Problème : aujourd’hui, l’argent investi en faveur de la transition écologique, il en manque beaucoup. Le GIEC estime que ces investissements devraient être multipliés par 3 à 6 au niveau mondial [3]. En France, ce sont entre 13 et 30 milliards d’euros supplémentaires qui devraient être investis chaque année en moyenne pour le climat pour se donner les moyens d’atteindre ces objectifs [5].
D’accord, mais quel est le lien avec la contribution carbone ?
Le principe de la contribution carbone est de permettre à des organisations de soutenir financièrement des projets (en dehors de leur chaîne de valeur) permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre, ou de capturer du CO2 déjà présent dans l’atmosphère : précisément les 2 axes dont on vous parlait plus haut pour atteindre la neutralité carbone planétaire. Chaque tonne de CO2eq* séquestrée ou évitée donne ensuite lieu à un crédit carbone, attestant de la contribution de l’organisation à soutenir le projet. Bien utilisée, la contribution carbone représente donc un puissant levier de financement additionnel pour le climat.
* CO2eq = équivalent dioxyde de carbone. C’est une unité de mesure utilisée pour comptabiliser les émissions de tous les gaz à effet de serre en prenant en compte leur potentiel de réchauffement global (PRG) : et oui, il n’y a pas que le CO2, et ils ne contribuent pas tous autant au réchauffement climatique ! On convertit alors les quantités des divers gaz émis en la quantité équivalente de dioxyde de carbone ayant le même potentiel de réchauffement planétaire.
1.2. De nombreux projets de contribution à impact positif pour le climat manquent de financements
Bien que les projets forestiers concentrent l’essentiel de l’attention et des critiques dans les médias, les projets de contribution sont très variés : il y en a plus de 170 types au total [6] ! Ils se divisent en 2 grandes catégories :
  • Les projets d’évitement, qui visent à éviter des émissions de gaz à effet de serre. Pour déterminer le nombre de crédits carbone qu’ils permettent de générer, on calcule la différence entre les émissions qu’il y aurait eu si ce projet n’avait pas lieu (c’est ce qu’on appelle le scénario de référence), et les émissions qui ont lieu si le projet est mis en place. Par exemple, un projet d’énergie renouvelable pour remplacer du charbon en Pologne permet d’éviter des émissions.
  • Les projets de séquestration, qui visent à retirer du carbone déjà présent dans l’atmosphère et à le stocker durablement, dans les écosystèmes ou dans des infrastructures. Par exemple, un projet de reforestation ou de capture technologique du carbone dans l’air (DACCS).
En 2021, les crédits carbone soutenant des projets d’énergies renouvelables ont par exemple représenté environ la moitié des crédits échangés au niveau mondial [6].
Les revenus issus de la contribution carbone peuvent être très utiles à ces projets : pour leur permettre de sortir de terre, améliorer leur modèle économique ou accélérer leur développement par exemple. Si sur le papier, tous semblent contribuer à l’atteinte de la neutralité carbone planétaire, la réalité peut toutefois être un peu différente. Prenons l’exemple d’un projet éolien terrestre : s’il permet de produire de l’électricité bas carbone qui viendra se substituer à une électricité plus carbonée (du charbon par exemple), il y aura effectivement une contribution positive pour la neutralité carbone, car les émissions globales auront diminué. En revanche, si ce même projet est installé non pas pour se substituer à des énergies fossiles mais pour augmenter la capacité de production d’électricité d’un pays, alors il n’y aura pas d’émissions évitées : au contraire, les émissions de gaz à effet de serre globale auront augmenté (car même les éoliennes en émettent !). C’est pourquoi il est essentiel de bien étudier un projet avant de le soutenir, pour s’assurer que son impact est globalement positif (on reparlera plus précisément de la qualité des crédits carbone dans la 3ème partie de cet article).
Chez Inuk, nous travaillons uniquement avec des projets d’évitement, qui permettent d’éviter l’utilisation d’énergies fossiles. Si on se concentre sur l’énergie, c’est parce que cela représente 73% des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale [7]. C’est donc une très grosse partie du problème ! Pour que tout ça soit un peu plus concret, voici 2 exemples de projets avec lesquels on travaille chez Inuk (tous nos projets partenaires sont répertoriés ici) :
  • L’un de nos projets partenaire, porté par la jeune entreprise bordelaise Newheat, consiste à fournir de la chaleur renouvelable via une centrale solaire thermique au réseau de chaleur urbain de la ville de Narbonne, qui se chauffait au gaz naturel auparavant. Le revenu de la contribution carbone permet au projet d’améliorer son modèle économique. Ce projet permet donc de se substituer aux énergies fossiles, ce n’est pas une nouvelle capacité de production qui a été ajoutée (on y a bien veillé !) : il implique donc bien une réduction des émissions globales de gaz à effet de serre.
  • Un autre de nos projets, porté cette fois par l’entreprise française Eco-Tech Céram, vise à récupérer la chaleur fatale sur un site industriel situé en Bourgogne, ce qui permet de diminuer la consommation de gaz du site. La contribution carbone volontaire apportée par Inuk a permis à ce projet d’atteindre les conditions de rentabilité économique requises pour qu’il voit le jour : sa mise en service est prévue cet été, et il permettra d’éviter l’émission de plus de 450 tonnes de CO2e par an ! A nouveau ici, on a veillé à ce que la récupération de la chaleur fatale ne soit pas associée à une hausse de production, et donc permettrait bien une diminution absolue de la consommation de gaz du site.
En 2021, ce sont 500 millions de crédits carbone qui ont été échangés [6], et autant de tonnes de CO2eq qui ont été évitées ou séquestrées… en théorie. (on y reviendra dans la 3ème partie de cet article.) Ce marché est relativement récent et est amené à se développer dans les prochaines années : McKinsey a estimé que la demande mondiale en crédits carbone pourrait atteindre 1.5 à 2 milliards de tonnes (Gt) d’ici 2030, et 7 à 13 Gt d’ici 2050 [8]. Des volumes loin d’être négligeables, quand on les compare aux 59 Gt qui ont été émises en 2019 au niveau mondial [3].
Ainsi, la contribution carbone permet d’apporter un soutien financier conséquent à des projets de décarbonation qui en ont grandement besoin. Son intérêt théorique est donc difficilement discutable.
Mais alors, qu’est-ce qui fait tant débat ? Principalement la mauvaise utilisation de cet outil par les entreprises, et le manque de fiabilité de certains crédits carbone : c’est ce qu’on va vous expliquer dans les deuxième et troisième parties.
2. Une entreprise qui achète des crédits carbone, c’est forcément du greenwashing ?
2.1. Non à l’entreprise neutre en carbone
Amazon neutre en carbone d’ici 2040, du café Nespresso ou des vols Air France neutres en carbone… Ce genre d’annonces se multiplient depuis quelques années. Mais ça veut dire quoi exactement, une entreprise, un produit, ou un service “neutre en carbone” ? Dit comme ça, on imagine que leur impact sur le climat est nul. Que consommer un café neutre en carbone, prendre un vol neutre en carbone, ou acheter tout bien ou service d’une entreprise “neutre en carbone” ne contribue en rien au réchauffement climatique, et qu’on peut donc faire tout ça avec la conscience tranquille. Et c’est bien le problème : c’est complètement faux.
En effet, toute activité émet des gaz à effet de serre : de la confection d’un T-shirt à la culture d’une tomate, en passant par la réalisation d’une campagne de communication. Toute activité contribue donc au réchauffement climatique. Un produit, un service ou une entreprise qui serait “neutre en carbone” ou “zéro émission” est un leurre : c’est du greenwashing.
Communication de Nespresso sur Twitter en 2019
Ces revendications de neutralité carbone, nées de l’illusion qu’émissions et crédits carbone peuvent être soustraits afin d’atteindre un “zéro” arithmétique, cristallisent en fait l’essentiel de ce qui pèche aujourd’hui sur le marché de la contribution carbone volontaire.
Si l’on admet qu’il est possible d’annuler ses émissions en achetant des crédits carbone, alors on admet qu’une entreprise puisse être neutre en carbone alors même que ses émissions augmentent année après année. On admet aussi qu’une entreprise puisse être neutre en carbone alors même que son activité est intrinsèquement incompatible avec l’Accord de Paris (aviation ou énergies fossiles par exemple). Une centrale à charbon neutre en carbone, vous y croyez vous ?
La neutralité carbone n’a de sens qu’à l’échelle de la planète, ou éventuellement à l’échelle des Etats coordonnés au travers de l’Accord de Paris. C’est ce qu’explique l’ADEME à travers un avis détaillé sur la question, que l’on vous encourage à lire. Les arguments sont nombreux :
  • sentiment déculpabilisant pour le consommateur, qui pense que ce qu’il consomme ou ce qu’il fait n’a pas d’impact négatif et qui n’est donc pas encouragé à changer son comportement
  • effet déresponsabilisant pour l’entreprise, pour laquelle la contribution est souvent moins chère que la décarbonation de son activité, et qui préfèrera donc cette première option
  • manque de transparence sur les actions de réduction réelles de l’entreprise : une même étiquette de “neutralité carbone” serait donnée à une entreprise qui a réduit de 70% ses émissions et compensé les 30% restant, et à une autre qui aurait compensé 100% de ses émissions.
  • capacité de contribution limitée : les puits de carbone n’étant pas en mesure d’absorber l’intégralité de ce qu’émet actuellement l’humanité chaque année
… Et on en passe.
Les changements de comportement et la réduction drastique des émissions sont des impératifs auxquels aucun crédit carbone ne pourra faire échapper. Toutes les entreprises et tous les secteurs devront réduire leurs émissions, indépendamment de la stratégie de contribution mise en place.
Mais attendez, les allégations de neutralité carbone, ce n’est pas de toute façon interdit par la loi depuis peu ? C’est peut-être une information que vous avez lu dans les médias début 2023. Hélas, ce n’est pas si simple. Un décret relatif à l’encadrement des allégations de neutralité carbone dans la publicité est effectivement entré en vigueur au 1er janvier, dans le cadre de la loi climat et résilience [9]. Mais si la version initiale de la loi prévoyait bien une interdiction pure et simple de ces allégations, sa version finale n’est qu’une autorisation sous conditions manquant cruellement d’ambition. Elle impose à une entreprise voulant proclamer un produit ou service “neutre en carbone” (ou toute formulation équivalente) de mettre à disposition du public :
  • un bilan des émissions de gaz à effet de serre associées au produit ou service, sur l’ensemble de son cycle de vie, sans remettre en question la nature même du produit ou service (un SUV par exemple).
  • des explications de la démarche selon laquelle les émissions relatives au produit ou service seront évitées, réduites et compensées. Aucun objectif de réduction minimum n’est précisé.
  • les modalités de compensation des émissions résiduelles.
Toutes ces informations devront être mises à jour chaque année, et l’allégation sera perdue si les émissions du produit ou service augmentent d’une année à l’autre. Vous avez bien lu : pas si le plan de réduction annoncé (aussi peu ambitieux soit-il) n’a pas été respecté, mais seulement si les émissions ont augmenté. En autorisant ainsi l’existence d’un produit ou service “neutre en carbone”, la loi est en contradiction avec l’avis de l’ADEME sur le sujet (qui rappelle que la notion de neutralité carbone n’a de sens qu’à l’échelle de la planète ou d’un Etat).
Vous l’aurez compris, les allégations de neutralité carbone ou tout autre “zéro émission”, sont à abandonner. Une fois tout ça mis de côté, on peut commencer à parler de stratégie de contribution carbone qui a vraiment du sens.
2.2. Oui à l’entreprise qui contribue à la neutralité carbone planétaire
On le dit et on le répète : nulle entreprise ne pourra se soustraire à la réduction de ses émissions de gaz à effet de serre, ce doit être leur priorité, même si cela implique un changement de business model pour devenir compatible avec l’Accord de Paris. En parallèle et en complément uniquement, une entreprise peut également participer à réduire les émissions des autres, et à augmenter les puits de carbone. Cela peut prendre la forme d’un soutien financier, par exemple via l’achat de crédits carbone.
Schéma issu de la Net Zero Initiative de Carbone 4
On sort alors de la logique de “compensation” de ses émissions, qui rend si séduisante l’idée de neutralité carbone de l’entreprise qui en découle, pour aller vers une logique de “contribution” à l’atteinte de la neutralité carbone planétaire. Inuk, comme de plus en plus d’acteurs du secteur, défend ainsi l’utilisation des termes de “contribution carbone” plutôt que “compensation carbone”, ce qui permet de renouer avec l’aspect collectif et non individualiste de l’effort, pour aboutir au zéro émission nette global. Pour en savoir plus sur ce changement sémantique, on vous invite à lire l’article de Carbone 4 sur le sujet.
Lorsqu’elle est appréhendée de cette façon, la contribution carbone est alors tout sauf du greenwashing : elle devient un réel levier de financement de projets de décarbonation, qui s’ajoute aux efforts de chaque entreprise pour réduire ses propres émissions.
Chez Inuk, nous défendons l’idée qu’une entreprise ne devrait pas pouvoir acheter de crédits carbone sans avoir réalisé un bilan carbone et sans être engagée dans une trajectoire de décarbonation au préalable. En l’absence de réglementation allant dans ce sens, ce serait donc aux organisations qui vendent des crédits carbone de s’en assurer. Le problème, c’est qu’à première vue ce n’est pas vraiment bon pour leur business : ça prend du temps, et ça implique d’être prêt à refuser certains clients. En ce qui nous concerne, nous avons malgré tout adopté ce principe de “know your customer” : avant toute vente de crédits carbone, nous nous assurons que nos clients ont fait un bilan carbone et qu’ils sont impliqués dans une démarche de réduction de leurs émissions. De cette façon, on s’assure que les crédits carbone que nous vendons ne puissent pas être utilisés comme une caution greenwashing par nos clients.
3. Les crédits carbone vraiment fiables,ça existe ou pas ?
3.1. Les standards internationaux ne sont pas toujours garants de crédits carbone de qualité
“La compensation carbone des entreprises ne serait d’aucune utilité, selon une étude choc”. C’est le titre d’un article paru dans Futura Sciences début 2023, qui relayait une enquête menée par The Guardian. Bien que ce titre à scandale ne reflète que partiellement la conclusion de l’enquête d’origine (qui ne porte en réalité que sur les projets de déforestation évitée REDD+), il met le doigt sur un véritable problème : la fiabilité des crédits carbone.
Mais c’est quoi au fait, un crédit carbone vraiment fiable ? L’ADEME et d’autres institutions comme l’ICVCM (Integrity Council for the Voluntary Carbon Market) ont défini plusieurs critères de qualité, les principaux étant les suivants :
  • 1️⃣ La mesurabilité : on doit savoir précisément combien d’émissions le projet permet de séquestrer ou d’éviter.
  • 2️⃣ L’additionnalité : le projet n’aurait pas existé sans ce financement.
  • 3️⃣ L’unicité : un même crédit carbone ne peut pas être vendu plus d’une fois.
  • 4️⃣ La permanence : la séquestration ou l’évitement doit durer sur le long terme.
  • 5️⃣ La transparence et la vérifiabilité : la séquestration ou l’évitement doit être vérifié par des audits indépendants.
Pour aider à repérer les projets de contribution carbone sérieux, des standards et labels se sont développés : 3 d’entre eux représentent aujourd’hui 97% des crédits carbone commercialisés en France (Gold Standard, Verra, Clean Development Mechanism) [10]. Mais l’histoire a révélé qu’ils n’étaient malheureusement pas toujours à la hauteur, car pas assez exigeants :
  • Manque de suivi rigoureux des projets : la majorité des standards ont mis en place un système d’audit et de suivi des projets mais celui-ci n’est pas suffisamment rigoureux de par la périodicité des contrôles (tous les cinq ans en moyenne) et de par leur nature (généralement déclaratif, n’imposant pas de visites de terrain)
  • Scénario de référence erroné : pour quantifier les émissions évitées par un projet, on imagine quelle aurait été la situation et les émissions de gaz à effet de serre associées si ce projet n’avait pas lieu : c’est ce qu’on appelle le scénario de référence, qui est prospectif. S’il est trop pessimiste, la quantité d’émissions évitées peut être surestimée. C’est ce qui est arrivé pour Verra, certificateur leader sur le marché, qui a fait l’objet de l’enquête de The Guardian concernant ses projets de protection des forêts REDD+: les crédits associés à ces projets sont calculés à partir de la quantité d’émissions de CO2 qui n’ont pas été émises dans l’atmosphère grâce au projet de préservation financé. Or, il est apparu que VERRA avait surévalué la menace de déforestation sur les zones considérées, surestimant ainsi l’effet bénéfique de ses projets sur les émissions carbone.
  • Manque de traçabilité des crédits : un grand nombre de registres ne permettent pas de lier précisément un crédit carbone à un projet via une identification par numéro de série, et ne font pas de distinction entre les différents acheteurs, ce qui entraîne un risque de double-comptabilisation des crédits.
  • Logique de « marketplace » et de titrisation du crédit carbone qui fragilise les porteurs de projets, et met à mal la transparence : 9 intermédiaires sur 10 ne communiquent pas de manière transparente sur leur commission [11].
  • Processus de certification complexe et coûteux : par définition, les projets faisant appel à la contribution carbone ont des modèles économiques fragiles. Faire payer plusieurs dizaines de milliers d’euros aux porteurs de projets pour qu’ils puissent labelliser leur projet fragilise donc ces derniers, et écartent les plus petits acteurs du marché, alors même que ce sont sûrement ceux qui ont le plus besoin des revenus de la contribution.
  • Externalités négatives sociales et environnementales du projet pas toujours considérées, par des acteurs qui privilégient les volumes de carbone pour faire face à la pression du marché. Myrto Tilianaki de CCFD-Terre solidaire évoquait ainsi qu’un projet de plantation d’arbres porté par Total en République du Congo aurait des impacts négatifs sur les communautés locales et sur la biodiversité, en plus de consommer de grandes quantités d’eau en raison de l’espèce des arbres plantés [12].
NB : Il est important de noter des améliorations significatives ces dernières années en matière de transparence des standards : la majorité d’entre eux publient aujourd’hui les méthodologies de quantification des émissions évitées/séquestrées sur leur site et celles-ci sont généralement approuvées par une revue par les pairs ou une consultation publique.
3.2. Des méthodologies alternatives plus exigeantes pour des crédits carbone vraiment fiables
Inuk est justement né de la volonté d’apporter de la transparence et de la rigueur au marché de la contribution carbone encore trop opaque : Thaïs a travaillé plusieurs années dans le secteur de la contribution carbone et a bien eu le temps d’identifier ses dysfonctionnements, c’est pourquoi elle a décidé de se lancer en 2017 en créant une solution alternative… Pour tout savoir sur cette “journey”, vous pouvez consulter notre article.
Pour vous expliquer comment la solution d’Inuk assure la qualité des crédits carbone, reprenons les 5 critères listés ci-dessus :
  • Mesurabilité
Inuk a fait le choix de travailler uniquement avec des projets partenaires qui nous permettent d’avoir accès à de la donnée réelle de qualité, sur laquelle nous nous basons pour mesurer les émissions évitées de manière super fiable et précise. C’est pour cette raison qu’on travaille principalement avec des projets d’énergie renouvelable aujourd’hui, parce que ces projets ont l’avantage d’avoir un compteur qui nous permet de vérifier que le projet tourne bien. Et mieux encore, on peut s’y connecter directement pour accéder aux données de production en temps réel.
Avant d’intégrer un nouveau projet à notre portfolio, nous conduisons une analyse de cycle de vie de la structure (c’est-à-dire qu’on calcule son impact carbone depuis sa fabrication jusqu’à sa fin de vie), puis nous calculons les émissions effectivement évitées grâce au projet, par rapport à un scénario de référence (nous avons détaillé la méthodologie que nous avons appliquée pour notre projet de ciment bas carbone dans cet article). Ainsi, on peut mesurer de manière précise la quantité de CO2eq évitée par kWh produit.
Toutes nos méthodologies sont bien-sûr publiques et consultables sur demande.
  • Additionnalité
C’est un critère super important car la contribution n’a de sens que si elle insuffle une dynamique positive pour l’avenir, en permettant d’éviter des émissions futures via le financement de nouveaux projets. Pour la garantir, on a décidé d’associer à chaque contribution carbone le financement d’un nouveau projet. C’est ce qu’on appelle la “double-garantie”. Concrètement, ça signifie que chaque crédit carbone finance 2 types de projets : un projet en opération (pour garantir la mesurabilité tangible) et un projet en recherche de financement (pour garantir l’additionnalité).
  • Unicité
Pour ça, notre CTO Aurelien a trouvé LA solution : tous les crédits carbone Inuk sont tracés sur notre blockchain bas-carbone de bout en bout et détruits une fois vendus. Le double-comptage, la spéculation ou tout autre dérive sont de fait impossibles.
“Oui mais la blockchain c’est pas écolo” — certes ! évidemment on a pris en compte cet aspect dans le développement de notre solution, et c’est pourquoi elle s’appuie sur une technologie appelée “Proof of Authority” (POA) qui ne repose pas sur l’exploitation minière et donc a un coût environnemental beaucoup moins élevé que le “Proof of Work” (pour en savoir plus, vous pouvez aller voir notre article sur le sujet !)
  • Permanence
Là encore, l’avantage du type de projets avec lesquels on travaille est qu’ils nous permettent de suivre de manière précise les émissions évitées dans le temps, contrairement à d’autres types de projets plus incertains car dépendants de conditions extérieures sur lesquelles nous avons peu de contrôle : par exemple une forêt qui brûle, ou des sols agricoles qui relâchent une partie du carbone stocké en raison d’un changement dans les pratiques agricoles ou d’une augmentation de température [13].
Par ailleurs, Inuk n’est pas une marketplace. Nous sélectionnons nos projets partenaires avec soin, et nous nouons une relation sur le long terme avec les porteurs de projet : c’est essentiel pour garantir que la contribution carbone permet bien aux projets de tourner dans le temps, et pour assurer la pérennité de l’évitement des émissions.
  • Transparence & vérifiabilité
Chez Inuk, on a fait le choix de limiter le nombre de projets partenaires et de privilégier la qualité à la quantité, ce qui nous permet de suivre chaque projet de très près (à la fois via les relevés de données mais aussi en nous rendant sur place). Mais cela ne suffit pas : c’est pourquoi toutes les données sont inscrites sur notre blockchain, ce qui équivaut à une sorte d’audit permanent et permet d’assurer la totale transparence et traçabilité de la contribution.
Et pour finir (après on vous laisse, promis!), on aimerait vous parler de notre modèle économique car il est assez unique sur ce marché : afin de ne pas faire porter le poids de la certification aux porteurs de projet — qui sont souvent écartés du marché de la contribution carbone à cause des coûts élevés de certification, audit, etc. — nous avons fait le choix de répercuter ces coûts directement sur les entreprises qui achètent les crédits. Ainsi chaque crédit carbone Inuk est composé de la manière suivante :
  • 40% finance un projet en opération
  • 40% finance un projet en recherche de financement
  • 20% couvre les frais de certification
Ce modèle nous a permis de lever les barrières à l’entrée du marché aux petits porteurs de projets et d’assurer une redistribution plus équitable du revenu de la contribution carbone.
Et voici comment, en rassemblant nos expertises énergie/climat et tech, notre équipe est parvenue à développer une solution de contribution à la fois rigoureuse, transparente et traçable, le tout en soutenant des projets locaux et indépendants ! Pas mal, non ?
Conclusion : la contribution carbone, un réel allié contre le réchauffement climatique…à condition d’en faire bon usage
C’était un point phare du dernier rapport du GIEC : les solutions existent déjà, mais les financements manquent pour faciliter leur déploiement et leur adoption. La contribution carbone a un rôle majeur à jouer dans l’augmentation de ces financements, notamment en mobilisant les entreprises privées. Pour que le mécanisme soit véritablement vertueux, il faut toutefois que ces dernières utilisent la contribution comme un outil complémentaire à la réduction de leurs propres émissions dans leur stratégie climatique, et non comme un moyen de s’y substituer. Pour aller dans ce sens, la logique de “compensation” et l’atteinte d’une “neutralité carbone” à l’échelle d’une entreprise, d’un produit ou d’un service doivent être abandonnées au profit d’une vision de contribution à l’effort collectif.
Chez Inuk, on voit la contribution carbone comme une partie de la solution, et non du problème, en proposant une contribution carbone fiable, transparente et locale, à des entreprises réellement engagées dans la transition. Mais rassurez-vous, on ne prétend pas avoir trouvé de recette miracle : conscients de la complexité des enjeux énergie/climat, c’est dans notre ADN de remettre en question ce qu’on fait et comment on le fait, pour tenter d’apporter des solutions concrètes à la hauteur du défi de la transition bas carbone. C’est pourquoi nous sommes toujours preneurs de vos retours critiques et suggestions qui nous permettent d’avancer.
On espère que cet article vous a permis de mieux comprendre les enjeux autour de la contribution carbone, et on reste à votre disposition si vous avez des questions ou des commentaires !
Contactez-nous pour en savoir plus sur la contribution carbone avec Inuk

Sources
[1] The Guardian, 2023 : Revealed: more than 90% of rainforest carbon offsets by biggest certifier are worthless, analysis shows
[2] Cash Investigation, 2023 : Superprofits : les multinationales s’habillent en vert
[3] IPCC, 2023: Summary for Policymakers. In: Climate Change 2023: Synthesis Report. A Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change. Contribution of Working Groups I, II and III to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change
[4] Stratégie Nationale Bas Carbone, 2020
[5] I4CE, 2022 : Panorama des financements climat — Edition 2022
[6] Ecosystem Marketplace, 2022 : The State of the Voluntary Carbon Markets 2022 Q3 briefing, “The Art of Integrity”
[7] Our World in Data, 2020 : Sector by sector: where do global greenhouse gas emissions come from?
[8] McKinsey, 2021 : A blueprint for scaling voluntary carbon markets to meet the climate challenge
[9] Décret n° 2022–539 du 13 avril 2022 relatif à la compensation carbone et aux allégations de neutralité carbone dans la publicité
[10] Info Compensation Carbone, 2022 : Etat des lieux de la compensation carbone en France — édition 2022
[11] Carbon Market Watch, 2023 : Analysis of voluntary carbon market stakeholders and intermediaries
[12] France Culture, 2021 : Planter des arbres pour neutraliser le CO2 : une solution pour les entreprises plus que pour le climat
[13] Crowther, 2016 : Quantifying global soil carbon losses in response to warming